Laërith, toujours dans les bras de son sauveur, apparut dans une sorte de... disons qu'on aurait certainement pu qualifier ça d'appartement. Sauf que, d'habitude, les parois d'un appartement ne sont pas en glace.
Mis à part ça, le reste était ce que l'on pouvait trouver dans un appartement normal, quoique plutôt luxueux : canapé, télévision 16/9, ordinateur, cuisine... La lumière provenait des murs et du plafond, avec une jolie couleur bleutée.
Laërith se remit debout.
« On est où, là ? » demanda-t-elle.
L'homme sourit.
« Chez moi. »
Laërith continuait à dévisager les murs.
« Oh. Et vous êtes qui, au fait ? Pourquoi vous m'avez libéré ? Enfin, j'aurais pu m'en sortir toute seule, bien entendu... »
L'homme sourit.
« Je n'en doute pas. Mais après, il aurait fallu que je te retrouve. Au moins, là, tu ne bougeais pas sans cesse. »
Laërith soupira.
« Qu'est-ce que vous voulez ? demanda-t-elle.
— J'étais intrigué par la présence d'un Démon...
— Vous savez que je suis un Démon ?
— Bien sûr. Pourquoi crois-tu que je sois venu te chercher ? »
Elle soupira.
« Et vous me voulez quoi ? Me tuer ?
— Pas forcément. On va peut-être commencer à faire les présentations. Je m'appelle Alkehys, et toi ?
— Laërith. Vous êtes un Ange ? »
Alkehys fit un geste évasif de la main.
« Je l'ai été, autrefois, répondit-il. Mais je ne suis plus très croyant.
— Un Ange qui ne croit pas en Dieu ? Ce n'est pas un peu... paradoxal ? »
Il sourit.
« Oh, je sais bien qu'Il existe, ce n'est pas le problème. Mais le Bien, le Mal, tout ça... »
Laërith acquiesça.
« Oh. Je vois. Ça veut dire que vous n'allez pas me tuer parce que je suis du mauvais camp ?
— Pas obligatoirement, en tout cas.
— Et pourquoi vous êtes ici ? demanda-t-elle.
— Disons que je m'occupe de ce monde. Et toi, pourquoi es-tu ici ?
— Je suis tombé ici par accident.
— Quel fabuleux hasard. J'ai du mal à y croire... »
Laërith soupira.
« C'est pourtant vrai. Quand je suis morte, sur Terre, je me suis retrouvé dans le vide. »
Alkehys parut étonné.
« Vraiment ? D'habitude, les Démons retournent en Enfer. Et les Anges au Paradis. Ça marche comme ça. »
Laërith parut réfléchir.
« Vous avez bien dit : les Démons *retournent » en Enfer ?
— Oui. Pourquoi ?
— Je ne suis jamais allée en Enfer. C'est peut-être pour ça.*
Alkehys parut étonné.
« Jamais allée en Enfer ?
— Je suis née... enfin, mon père était un Démon. Mais ma mère était humaine. »
Alkehys sourit.
« Oh, je vois. C'est peut-être à cause de ça, alors. Mais c'est bizarre. Et une fois dans le néant, tu as fait quoi ? Se déplacer à travers les mondes n'est pas donné à tout le monde. »
Laërith haussa les épaules.
« Je me suis retrouvée invoquée. Sur un monde qui s'appelle Erekh.
— Oh. Je vois. Comment se porte Erekh, alors ?
— Pas très bien. Je crois que j'ai foutu un peu le bordel sur mon passage.
— Comment ça ? »
Il y eut un bruit derrière eux. Un homme assez massif, vêtu de noir, venait de débarquer.
Laërith et Alkehys le dévisagèrent.
« Salut, fit le chat. Content de te revooiir.
— On se connaît ? » demanda Laërith.
Le chat fit un geste évasif de la main.
« Ces humains... Toujourrs à juger aux zapparrrences. »
Puis, soudain, il n'y eut plus qu'un gros chat noir devant eux.
« Tu me reconnais, maintenant ? »
Laërith sourit ; Alkehys, lui, se passa la main sur les yeux.
« C'est quoi, ça, encore ? » demanda-t-il.
Elle lui raconta tout ce qui lui était arrivé sur Erekh : la prophétie, sa mort, le chat, leur arrivée dans l'Éther.
« Je vois, fit Alkehys. Je n'aurais peut-être pas du laisser Nadia s'occuper de ça toute seule...
— Nadia ? C'est qui ?
— C'est... la gardienne d'Erekh. Tout comme je suis le gardien de l'Éther.
— C'est quoi, cette histoire de gardiens ?
— Ces mondes ne sont pas très... disons, stables, contrairement à la réalité. Notre rôle est de veiller à ce que ça ne dégénère pas trop. Au début, c'était des Anges qui faisaient cela. Puis j'ai... quitté les rangs du Seigneur. Et la gardienne d'Erekh est... partie. Alors Nadia a pris la relève, parce qu'il n'y avait personne d'autre. Elle se débrouille bien, mais elle n'est pas aussi puissante que toi ou moi, si tu vois ce que je veux dire.
— C'est juste une humaine ?
— Non. C'est une vampire. »
Ils restèrent silencieux quelques instants. Laërith se souvint d'une partie d'échecs jouée dans la neige.
« Heu, votre Nadia, elle n'aurait pas des cheveux rouges, par hasard ? demanda-t-elle. Et une tendance à vouloir éliminer les Démons ?
— Si.
— Elle m'a dit qu'elle s'appelait Destinée... »
Alkehys sourit.
« Ouais. Elle aime bien se donner des noms pompeux. Elle s'est battue avec toi ?
— Pas vraiment, répondit Laërith. On a fait une partie d'échecs, en fait. Elle m'a laissée repartir. Elle n'aurait pas dû. »
Laërith avait un regard triste.
« C'est de ma faute, tout ça, continua-t-elle.
— Tu n'y es pour rien. Elle non plus.
— Je ne sais pas de qui c'est la faute, répliqua Laërith. Et je m'en fous. Mais le fait est qu'il y a un double de moi qui se balade là-bas, et il faut que je règle ça. En plus, il paraît qu'il y a un passage vers la Terre depuis Erekh.
— En effet, répondit Alkehys. Il existe un passage. Mais il est fermé depuis des siècles. »
Le visage de Laërith devint livide.
« Donc, je ne pourrais plus jamais revenir sur Terre ? »
Alkehys parut réfléchir un moment.
« Il y a peut-être un moyen. Tu es allée dans leur capitale ?
— Nonry ? Ouais, j'y suis passée.
— Il y a une sorte de... tour Eiffel, si je me souviens bien. »
Laërith sourit.
« Ouais. L'Efaltawar.
— Voilà. Je crois qu'il y a un lien entre elle et la tour Eiffel de Paris.
— Vous voulez dire, à part que c'est la même forme ?
— En fait, je crois que les deux tours ne font qu'une.
— Comment ça ?
— Je veux dire, que si tu es dans l'Efaltawar, tu es aussi dans la tour Eiffel. »
Laërith ne parut pas convaincue.
« Vous êtes en train de me dire qu'il faut que je monte dans l'Efaltawar, et que je ressors à Paris ?
— Non. Disons que ce sont deux reflets d'un même objet. Mais ça ne communique pas vraiment. Ce serait le chaos, sinon. »
Elle haussa les épaules.
« En quoi ça peut m'intéresser, alors ?
— Il faut que tu arrives à ressortir de l'autre côté...
— Mais vous venez de dire que ce n'était pas possible !
— Non. J'ai dit que ça ne communiquait pas.
— Ça revient au même, non ? »
Soudain, son visage parut s'éclairer.
« À moins, reprit-elle, que je franchisse l'intervalle d'une façon ou d'une autre... »
Alkehys acquiesça.
« D'accord, continua Laërith. Je vais dans l'Efaltawar. Je me téléporte dans la tour Eiffel. Ça peut marcher ?
— Je pense, répondit Alkehys. De toute façon, ça ne coûte rien d'essayer.
— C'est vrai. Mais supposons que j'arrive sur Terre. Je suis morte », là-bas ! Je veux dire, je n'aurais pas de corps...
Alkehys sourit.
« Tu sais, le corps humain, quand tu regardes de près, c'est juste des atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. Ce n'est pas ce qui manque, sur Terre.
— Oui, mais... Je veux dire, je ne peux pas me *créer » un corps comme ça !
— Pas exactement. En fait, tu as un certain champ morphique, dû au fait que tu as passé la majorité de ton existence sous cette forme. Si tu reviens sur Terre, c'est ce champ morphique qui va recréer un corps pour toi.*
Laërith parut sceptique.
« Un champ morphique ?
— Eh oui. C'est ce qui fait que t'as la même apparence ici que sur Terre...
— Mais quand je suis arrivée sur Erekh, j'avais des ailes...
— Et quand tu es arrivée ici, tu étais nue. C'est juste des petites altérations, volontaires ou non. », répondit le chat. Puis il s'adressa à Alkehys. « Je lui ai pourtant déjà expliqué... »
Elle acquiesça.
« D'accord, je comprends l'idée. Mais... je ne vois pas comment ça pourrait réussir à créer des milliards de cellules et à les agencer de façon correcte...
— Quand deux personnes ont un enfant, ça fait bien la même chose, non ?
— Mais ce n'est pas *instantané ».
— Qui a dit que ça serait instantané ?
— Oh.
— Ça devrait bien prendre quelques secondes.*
Laërith sourit.
« Je ne devrais peut-être pas chercher à comprendre tout ça. Après tout, si ça marche, tant mieux. Mais... il y a certains trucs que j'aimerais savoir quand même. Du genre, c'est quoi ce monde ? »
Alkehys haussa les épaules.
« Je pense que tu as compris que les rêves et les croyances des hommes pouvaient engendrer des mondes, loin de la réalité pure... »
Elle acquiesça de la tête.
« Et bien, continua Alkehys, on peut dire que l'Éther est né des rêves des ordinateurs. »
Laërith sourit.
« C'est du délire, hein ? Les ordinateurs ne rêvent pas ?
— Non. C'est une image. Mais toutes ces données qu'ils contiennent finissent par faire des déformations ici.
— Donc en fait, c'est comme si on était dans Internet ?
— Non. C'est plutôt... Un reflet d'Internet. De la même façon qu'Erekh est un reflet de la Terre.
— D'accord... »
Elle se remémora Foo et Bar. Ces noms lui disaient quelque chose, maintenant.
« Je vois », ajouta-t-elle.
Il y eut un instant de silence.
« C'est absurde, fit Laërith.
— Pourquoi ? Tu as pu voir par toi même, non ? »
Laërith sourit.
« Oui. Mais ça n'empêche pas que c'est absurde. Je veux dire... Enfin... »
Elle soupira.
« J'ai l'impression d'être dans un rêve. Tout est si... irréel.
— C'est ce qui arrive quand on s'écarte un peu trop de la réalité.
— J'aimerais bien y revenir, à la réalité, justement. Il y a un moyen de revenir sur Erekh depuis ici ?
— Bien sûr. Je te montrerai.
— On peut y aller tout de suite ? » demanda-t-elle en se levant.
Alkehys se leva, lui aussi.
« J'imagine qu'il vaut mieux se dépêcher, en effet. Avant qu'Erekh n'ait trop de problèmes. Mais est-ce que tu sais ce qui t'attend ? »
Laërith le regarda, l'air surprise.
« Oui. Mais le sort d'un pays repose entre mes mains. Enfin, il paraît...
— Ce n'est pas comme si tu allais affronter un Démon, tu en es consciente ? C'est *Erekh » que tu vas affronter !
— Je sais. Je n'ai aucune chance de vaincre. C'est toutes les énergies des croyances, accumulées depuis des siècles.* Elle sourit. « Oui. J'en suis consciente.
— Tu n'as pas peur ?
— Peur ? Qu'est-ce que je risque ? Mourir ? Je commence à y être habituée... »
Alkehys sourit.
« C'est une façon de voir les choses. Tu veux que je t'accompagne ?
— Jusqu'au portail pour Erekh. Après, on se débrouillera. Il est débrouillard, ce chat... »
Alkehys acquiesça de la tête. Le chat sauta dans les bras de Laërith. Alkehys plaça son bras autour d'elle. Et d'un coup, ils furent en Enfer.