Laërith jeta un nouveau coup d'oeil aux environs. Ils se trouvaient dans une espèce de cour entre deux immeubles. Tout était gris : le bitume, les murs des immeubles... Il n'y avait pas un arbre, pas une plante. Le ciel, en revanche était bleu. Il y avait une rue non loin ; ils pouvaient en entendre le bruit : des discussions, des bruits de pas, quelques bruits de moteur... Tout ressemblait à ce qu'il pouvait y avoir dans une ville standard de la fin du vingtième siècle.
« Tu sais où est-ce qu'on est ? » demanda Laërith au chat, qui était en train de se lécher la queue.
« *Aucune idée. Comment je le saurais ? »
— C'est toi qui connais tout, non ?
— Pas ici, en tout cas.*
Laërith hocha la tête.
« Ok. Allons voir un peu ce qu'il y a. »
Elle commença à se diriger vers la rue.
« Attends un peu », fit le chat.
Elle s'arrêta.
« Quoi ?
— Heu... Eh bien, pour commencer, tu es, comme qui dirait, nue. »
Elle baissa la tête.
« Merde. Pourquoi ça fait toujours ça quand on réapparaît ?
— *À vrai dire, dans mon » cas, ça me paraissait plutôt naturel... *
Elle sourit.
« En gros, tu n'en sais rien.
— *Mauvaise langue. Je pense que ça vient de l'apparence physique que ton esprit dégage, plus ou moins inconsciemment. Champ morphique, ça s'appelle. »
— Si tu le dis. Ça ne me dit pas comment je vais trouver de quoi m'habiller.
— Si. Tu n'as qu'à te visualiser habillée, je suppose.*
Elle soupira.
« Comme pour ne plus avoir les ailes ?
— Exactement. »
Subitement, des vêtements apparurent sur la jeune fille : une jupe, un haut, un manteau et des baskets. Le tout était noir.
Elle sourit.
« J'imagine que ça doit réduire les frais de garde-robe, cette technique.
— *Ne te réjouis pas trop vite. Déjà, je doute que ça marche sur ton monde. Ensuite, ça risque de ne pas durer éternellement. »
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Que ça te demande un effort de concentration. Ce n'est pas ton apparence naturelle. Si tu te déconcentres, tes vêtements risquent de disparaître.
— Il faut voir le bon côté des choses : c'est pratique, pour se déshabiller.
— Peut-être, mais tu devrais quand même penser à acheter des vêtements un peu plus... réels.*
Elle hocha la tête.
« En attendant, on y va ?
— *Il a l'air d'y avoir beaucoup de bruit et de monde... »
— Ça te fait peur ? rétorqua-t-elle en souriant.
— Ce n'est pas ça. C'est juste que je n'aime pas la foule.
— On ne va pas rester bloqués ici, de toutes façons. Allez, viens.
— D'accord, d'accord, répondit le chat en lui emboîtant le pas. Essaie juste de faire en sorte que je ne finisse pas écrasé par un type qui n'aura pas regardé où il marchait.*
Ils arrivèrent dans la rue. Les bâtiments n'étaient pas véritablement imposants — la plupart n'avaient guère plus de quelques étages, mais ils portaient pour la plupart un certain nombre d'affiches et d'enseignes clignotantes. Il y avait toutes sortes de boutiques, et la rue était remplie de personnes venues là pour faire du shopping ; il y avait peu de voitures, et les rares qui passaient devaient le faire au ralenti.
Laërith mit un certain temps à réaliser que les gens autour d'elle parlaient tous anglais. Elle bifurqua dans une rue parallèle, où il y avait moins de monde. Le chat la suivit.
« Ça va ? lui demanda-t-elle. Tu ne t'es pas trop pris trop de coups de pied ?
— Tu rigolerais moins si tu avais ma taille. »
Elle sourit.
« Toujours à te plaindre, hein ? »
Le chat ne répondit pas.
« C'est marrant, reprit-elle. Ça a l'air de vachement ressembler à la Terre. Il y a une chance qu'on soit tombés dessus ?
— Aucune », répondit le chat. Si on était sur Terre, tu n'aurais pas pu faire apparaître tes vêtements comme ça. Et moi, je ne penserais plus comme ça. Enfin, j'espère.
Elle soupira.
« Dommage. Pourquoi ils parlent anglais, ici, alors qu'ils parlaient un espèce de français sur l'autre monde ?
— Tu n'en as pas marre, de poser des questions stupides ? »
Elle sourit.
« Et toi, tu n'en as pas marre de râler ? »
Le chat ne répondit pas. Ils continuèrent à avancer silencieusement. Ils débouchèrent sur une avenue. Si les bâtiments étaient à peu de choses près les mêmes que ceux de l'autre rue, il y avait là un grand nombre de voitures, circulant relativement vite. Il y avait aussi une grande proportion de motos.
« *Qu'est-ce qu'on fait ? » demanda le chat. Je n'ai aucune envie d'aller près de tous ces engins.
— J'irais bien prendre quelque chose à manger. Tu n'as pas faim ?
— Tu comptes payer avec quoi ?
— C'est le genre de détails qui s'arrangent. Je reviens tout de suite. Tu m'attends là ?
— Comme si j'allais aller faire du shopping...*
Laërith revint au bout d'une demi heure, un sac à la main.
« Tu n'as pas trouvé le temps long ? » demanda-t-elle au chat, qui s'était étendu sur le dos.
« Ça va. Tu as trouvé quelque chose ? »
Laërith acquiesça de la tête. Elle s'assit à côté de lui et déballa ce qu'il y avait dans son sac : une barquette de frites et des sandwiches.
« Ce n'est pas grandiose, mais ça changera de ce qu'ils avaient sur Erekh.
— Comment tu as payé ? »
Elle sourit. Elle sortit des billets verts de sa poche.
« Il y a quelque chose de génial, dans ce monde et sur Terre, c'est les distributeurs automatiques de billets. »
Le chat lui jeta un regard interrogatif.
« *Tu veux dire que les distributeurs donnent de l'argent, comme ça, à tout le monde ? »
— Il faut mettre une carte, normalement. Tu as un crédit limité. Mais avec le bon coup de main, le distributeur te donne tout ce que tu veux.
— Oh. C'est du vol, quoi ?
— Je suppose que oui.*
Une fois leur repas terminé, Laërith et le chat décidèrent de ce qu'ils allaient faire.
« Je te préviens, je n'ai aucune envie de me balader dans cette ville bruyante et puante. »
Elle sourit.
« Et qu'est-ce que tu veux faire ? Dormir toute l'après midi ? Je croyais qu'il fallait essayer de trouver un portail vers Erekh ?
— *Et tu me vois me balader en posant des questions à tout le monde ? »
— Non. Mais moi, j'ai envie de le faire. Il faut qu'on se fixe un point de rendez-vous.
— L'endroit où on a débarqué ? Ça m'avait l'air calme.>
Laërith acquiesça de la tête, et se dirigea vers l'avenue.
« OK. À tout à l'heure.
— C'est ça. Et n'oublie pas que tu vas te renseigner, pas faire les boutiques. »
Laërith parcourut l'avenue pendant un certain moment. Peu à peu, les bâtiments changeaient, devenant de plus en plus monochromes, avec un grand nombre de surfaces vitrées, et plus hauts. Il y avait maintenant moins de monde dans les rues ; il n'y avait en effet presque plus de boutiques. Les personnes qui se trouvaient là marchaient d'un air pressé, et portaient presque tous un costume et la cravate.
Trouvant l'endroit inintéressant, elle décida de revenir un peu en arrière, puis elle bifurqua, empruntant une autre large rue.
Elle marcha quelques instants et arriva sur une grande place, pleine de monde. Il y avait des grands magasins tout autour : magasins de disques, de livres, cinémas... L'ambiance contrastait avec celle de l'avenue, où tous les commerces ou presque étaient petits et spécialisés.
Elle se dirigeait vers une autre rue lorsqu'un policier l'interpella. Il était imposant, tant par sa carrure que son équipement : il portait un casque avec une visière, une matraque, et un pistolet à gros canon. Son uniforme était bleu marine.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-elle, en anglais.
Le policier la regarda de haut en bas et de bas en haut.
« Votre tenue. »
Elle baissa les yeux.
« Qu'est-ce qu'elle a ?
— Elle est peut-être adaptée à certains endroits chauds, mais ici, vous devez respecter quelques principes de décence. »
Elle soupira.
« D'accord, on voit le bas de mes jambes. Vous n'allez quand même pas m'arrêter pour ça ?
— Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda un autre policier, venu rejoindre son collègue. Il paraissait relativement moins agressif.
« Regarde cette tenue, répondit le premier policier. C'est peut-être une agitatrice. »
Le second sourit. Il approcha sa main du visage de Laërith, écartant ses cheveux près de son oreille.
« Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-elle en s'écartant un peu.
— Pas de boucle d'oreille ? » demanda le policier.
Elle leva les yeux au ciel.
« C'est un crime aussi » ?
Le policier sourit.
« Non, ce n'est pas un crime. Je vais juste prendre votre nom et vous laisser partir.
— D'accord. C'est Laërith.
— Ça s'écrit comment ? Pas courant, comme nom. »
Lorsque Laërith entra dans la rue, après que les agents l'eurent laissée repartir, elle aperçut un homme, apparemment jeune, aux cheveux bleus, adossé contre le mur.
« Alors, on a des problèmes avec la police ? » demanda-t-il alors qu'elle passait à côté de lui.
Elle s'arrêta.
« Ils sont réglés. »
Il sourit.
« Vous avez eu de la chance. Des fois, ils arrêtent des gens, pour ce genre de choses. »
Elle fronça les sourcils.
« À cause d'une jupe trop courte ? »
Il fit non du doigt.
« Tu n'es pas d'ici, hein ? T'as un accent bizarre.
— Non. Je viens... d'ailleurs.
— Alors, je vais te faire un petit résumé. Tu vois, dans l'Éther...
— L'Éther ?
— Ici, quoi. Enfin, ça désigne aussi une sorte d'énergie, mais on verra ça plus tard, OK ? Donc, dans l'Éther, pour faire simple, il y a deux... disons, deux camps. »
Elle soupira.
« Le Bien et le Mal ? »
Il sourit.
« Si on veut. Il y a l'Éther du haut, et l'Éther du bas. Ou l'Éther de la lumière et celui de l'obscurité, comme tu veux. C'est pas le grand amour. Dans l'Éther du haut, la Police aime pas trop les types de l'Éther du bas. Ce que tu portes, là, ça se porte plutôt de l'autre côté, alors les flics, ils aiment pas. »
Elle hocha la tête.
« D'accord. Je vois. Quand tu dis Éther d'en-haut, et Éther d'en-bas, ça n'est pas qu'une métaphore, hein ?
— En effet. Si ça te tente, un petit tour de l'autre côté, je peux t'accompagner, si tu veux.
— On y va comment, de l'autre côté ? »
Il désigna du doigt une plaque d'égouts.
« C'est très simple, répondit-il. Par là, et on ressort de l'autre côté. »
Elle sourit, et secoua la tête.
« Sans façons. Je n'ai aucune envie de jouer à l'acrobate dans les égouts avec un type que je ne connais pas.
— Tu n'as pas confiance ? Il n'y a que quelques mètres à parcourir, là-dessous. Et c'est très propre...
— Non. Par contre, si tu peux me dire où il y a un hôtel...
— Je n'en sais rien. Par contre, je connais un petit coin sympa de l'autre côté...
— J'ai dit non, d'accord ? »
Elle commença à s'éloigner. Il sourit.
« OK, OK. Comme tu voudras. »
Elle s'arrêta.
« Attends une seconde. Tu n'aurais pas entendu parler d'un endroit qui s'appellerait « Erekh » » ?
— Erekh ? Non. Désolé.
— Ce n'est pas grave. Bye.*
Elle recommença à avancer.
« Si tu changes d'avis, je suis toujours dans le coin. »
Elle ne se retourna pas.
Laërith continua à se promener un moment encore, allant au hasard. Elle traversa un quartier purement résidentiel, pas forcément désagréable, mais qui ne l'intéressait pas pour le moment.
Elle pris ensuite une autre route, et se retrouva brusquement dans une sorte de zone industrielle. Les usines étaient grises, et très imposantes. L'air était atrocement pollué ; ce qui était d'ailleurs surprenant car quelques mètres plus tôt, il ne l'était pas du tout.
Elle traversa à vive allure cet endroit déplaisant, et se retrouva dans le quartier commercial qu'elle avait quitté plus tôt, ce qui était plutôt étrange étant donné qu'elle avait marché à peu près tout droit. Elle se dirigea vers une direction qu'elle n'avait pas encore prise.
Elle déboucha sur une place où tous les bâtiments étaient blancs. Tout était propre, ce qui contrastait avec la zone industrielle qu'elle avait traversée quelques minutes plus tôt. Il y avait un grand nombre de policiers sur la place, la plupart armés de fusils mitrailleurs.
« Si tu vas là, tu risques de t'attirer des ennuis », fit une voix connue derrière elle.
Elle se retourna, et aperçut l'homme aux cheveux bleus qu'elle avait rencontrée plus tôt.
« Encore toi ? Qu'est-ce que tu fais là ? » demanda-t-elle.
L'homme sourit.
« Je t'ai suivie. »
Elle lui jeta un regard mauvais.
« Mais qu'est-ce que tu me veux, à la fin ?
— Je ne voudrais pas qu'il t'arrive d'ennuis. Et puis, je suis curieux. On n'a pas beaucoup d'étrangers, dans le coin. Tu as dit que tu venais d'où, déjà ?
— Ça ne te regarde pas, cracha-t-elle.
— OK, OK... Je peux te faire visiter le coin... »
Elle soupira.
« Tu veux encore me faire visiter tes égouts ?
— Chut, pas si fort. Je n'ai pas envie de finir emprisonné, et je suis sûr que toi non plus. »
Elle leva un sourcil.
« C'est interdit, d'aller dans ton truc ?
— Ça ne te dirait pas d'aller parler de tout ça ailleurs ? Loin des flics ? »
Elle jeta un coup d'oeil aux policiers, qui n'avaient en effet pas l'air très commodes. Elle se remémora les deux qu'elle avait déjà croisés.
« D'accord. »
Ils s'étaient finalement assis sur un banc, dans un endroit relativement calme.
« Bon, fit Laërith. Alors, qu'est-ce que tu me veux ?
— Je te l'ai dit, je suis curieux. J'aimerais bien savoir d'où tu viens. Mais vu que tu n'as pas l'air de vouloir parler de ce sujet, je suppose que je me contenterais de ton nom. »
Elle sourit.
« Laërith. Ou Laura. Au choix.
— Moi, c'est Foo. Enchanté.
— Foo ?
— J'imagine que ce n'est pas pire que Laërith.
— Je suppose. C'est vrai, ton histoire de l'Éther du haut et de l'Éther du bas ? Ou alors c'était juste pour me draguer ? »
Il leva les yeux au ciel.
« Bien sûr, que c'est vrai. Si tu écoutais un peu...
— Et ça se trouve dans les égouts ?
— Non. Les égouts, c'est juste le passage. Mais le plus simple, c'est que j'aille te montrer, non ? »
Elle soupira.
« T'y tiens vraiment, hein ? »
Foo jeta un coup d'oeil autour d'eux pour vérifier qu'il n'y avait personne, et poussa la plaque d'égouts.
« Tu es vraiment sur de vouloir que j'aille là-dedans ? demanda Laërith.
— Certain. Passe devant. »
Elle descendit en premier. Il la suivit, et replaça la plaque après lui. Elle toucha le sol. C'était de la pierre, parfaitement sèche.
« On n'y voit rien.
— Une seconde. »
Subitement, de la lumière apparut autour d'eux. Elle semblait provenir de Foo, mais il était impossible de préciser l'origine précise de la source.
« Comment tu as fait ça ? » demanda-t-elle.
Il lui montra une bague noire.
« Système Éthérique, répondit-il. En gros, ça permet de faire de la magie. Je t'expliquerai plus tard. Suis moi. »
Il fit quelques mètres, prit un autre passage, et s'arrêta devant une échelle.
« Voilà. C'est là. »
Il commença à grimper à l'échelle ; elle le suivit. Ils débouchèrent à l'air libre.
L'endroit n'avait rien à voir avec celui qu'ils avaient quitté quelques minutes plus tôt. Les immeubles étaient tous ou presque en ruine, il y avait des carcasses de voitures au milieu de la route, et le ciel était maintenant couvert de nuages.
Elle se frotta les yeux.
« Je rêve, là ? On a fait trois mètres sous terre, et on ressort à un endroit qui n'a rien à voir... »
Il sourit.
« Ça marche comme ça, ici.
— Pas très gai, comme coin.
— C'est abandonné, ici. Mais il y a des coins sympas.
— Si tu le dis... Tu m'expliques, comment tu faisais la lumière ?
— Bien sûr. »
Il lui montra la bague.
« Ça, fit-il, c'est un Système Éthérique. Ça permet de récupérer l'éther présent dans l'air. Et avec ça, tu peux faire de la magie. Ce n'est pas très compliqué. »
Elle regarda la bague.
« Qu'est-ce qu'elle a de spécial ? demanda-t-elle.
— Rien, si ce n'est qu'elle a été enchanté pour pouvoir faire de la magie noire.
— Il y a aussi de la magie blanche ?
— Oui. La magie noire est interdite dans l'Éther du haut. Mais globalement, elles sont pratiquement pareilles. »
Elle hocha la tête.
« Et n'importe qui peut faire de la magie, avec ça ?
— Absolument.
— Il y a beaucoup de monde qui vit ici ?
— Moins qu'en haut. Mais quand même pas mal. Il y a moyen de te trouver un endroit pour dormir, si tu veux. Ce n'est pas la place qui manque... »
Elle parut réfléchir un moment.
« J'ai... un chat, avec moi. Il faut que j'aille le chercher. Je reviens après.
— Tu veux que je t'accompagne ?
— Ça ira.
— D'accord. On se retrouve ici. »