Skip to content

Latest commit

 

History

History
418 lines (265 loc) · 12.7 KB

3chapitre_1.md

File metadata and controls

418 lines (265 loc) · 12.7 KB

Laërith ouvrit les yeux, mais ne vit rien. Le noir total. Elle n'entendait rien non plus, et ne pouvait rien palper non plus.

Elle soupira. Cette sensation lui était familière, maintenant. Elle avait déjà passé un certain temps dans le néant avant d'être invoquée, temps que l'absence absolue de sensation et d'activité avait rendu sans fin. Elle commençait à se demander si elle ressentirait la même chose cette fois-ci.

Elle tenta de s'asseoir, ce qui n'est pas une chose évidente lorsqu'on est dans le vide, puis essaya de réfléchir aux derniers événements. Mikaël, Armand, Anaïs. Elle se demandait ce qu'ils étaient devenus. Il y avait eu le conseil, la discussion... Le roi avait finalement décidé de l'éliminer. Un soldat avait tiré. Une flèche lui avait transpercé le coeur...

Alors, c'était ça ? Elle était morte encore une fois ?


Elle était encore à moitié éveillée, à se remémorer ce qui avait été sa dernière vie. Elle repensa à Anaïs, à Armand. À Mikaël. Les pauvres, songeait-elle. Ils avaient tous abandonné leur vie — ou leur non-vie — à cause d'elle. Elle se demandait ce qu'ils avaient pu devenir. Peut-être étaient-ils tous morts, tués par les soldats du roi ? Peut-être avaient-ils tous pu s'enfuir, sains et saufs ?

Puis elle repensa à sa dernière expérience dans le néant. Une éternité, passée à attendre. Sans rien à faire. Elle avait beaucoup pensé, aussi. Elle avait beaucoup dormi. Elle avait rêvé. Et finalement, elle avait été libérée de tout cela. Elle ne savait toujours pas exactement pourquoi l'invocation l'avait ramenée, elle. Peut-être juste le hasard. Un coup de chance. Y avait-il une chance que le hasard se reproduise ? Y avait-il une chance qu'elle puisse jamais retoucher quoique ce soit de solide ?


Et puis, il y eut un miaulement. Laërith ouvrit les yeux. Elle se demanda si elle avait rêvé ce bruit. Probablement. Puis, elle aperçut deux lueurs. Leur couleur était difficile à déterminer : par moment, elles paraissaient vertes, ou jaunes, voire gris ou bleu.

« C'est un rêve ? demanda-t-elle.

À ton avis ? » répondit la créature, en se plaçant en face d'elle.

Elle essaya de voir ce que c'était. Elle tendit la main. C'était doux. Elle caressa un moment la boule de poils. Elle se rappelait bien le chat qui l'avait suivi tout le temps qu'elle avait passée sur Erekh. Mais comment pouvait-il être ici ?

Elle se passa la main sur les yeux.

« OK. Reprenons depuis le début. Tu es un chat qui parle ?

— *Bien sûr que non », répondit le chat. Tout le monde sait que les chats ne parlent pas.

— C'est qu'il m'avait semblé...

Non, continua le chat en lui coupant la parole. Tu n'as jamais fait d'études, ou quoi ? Comment voudrais-tu que mon anatomie me permette de parler ?

— Désolée, mais...

Non. Je me contente juste d'imprégner une pensée dans ton esprit. Mais je veux bien concevoir que pour une créature inférieure, cela puisse se ressembler.*

Laërith sourit.

« OK, OK. Et est-ce que ce chat, pardon, je voulais dire cette créature supérieure, pourrait avoir l'amabilité de me dire, ou d'imprégner dans mon esprit, ce qu'il fout ici ? »

Le chat parut lever les yeux au ciel — ou, du moins, il aurait levé les yeux au ciel s'il y avait eu un ciel quelque part au-dessus de sa tête.

« Je suis venu donner un coup de patte à une gamine gentille mais absolument stupide qui m'a l'air totalement incapable de se débrouiller par elle-même. »


« Mmmh, ce n'est pas encore ça... »

Laërith soupira.

« Ça fait combien de temps qu'on essaie ?

— *Pas qu'on » essaie. Que tu essaies. Moi, j'y arrive très bien.

— Eh bien moi, j'arrête !

Tu abandonnes déjà ?

— Non, je fais juste une pause. On a le temps, non ?*

Le chat parut réfléchir.

« *Pas faux. »

— Je peux te poser une question ?

Si ça peut te faire plaisir...

— Tu es quoi, au juste ? Je veux dire, les chats normaux ne parlent pas...

Je ne parle pas.

— Les chats normaux n'imprègnent pas non plus des pensées dans les esprits des gens.

Bon, on va commencer du début. Tu es au courant que quand les amis de ton monde se mettent à croire ou à imaginer des trucs, ça peut finir par se réaliser plus ou moins, dans, disons, d'autres dimensions ?

— Comme Erekh, tu veux dire ?

Gagné. Quand les gens imaginent un monde médiéval avec des dragons et autres créatures du même genre, ça donne Erekh.

— Je n'ai pas vu de dragons.

Mais tu as compris le principe ?*

Elle sourit.

« Oui, j'ai compris.

Bon, eh ben quand les gens imaginent qu'un chat peut être en même temps mort et vivant, ça donne moi. »

Laërith leva un sourcil.

« Tu veux dire le chat de Schrödinger ?

Je ne suis le chat de personne ! »

Laërith sourit à nouveau, et caressa la tête du chat.

« D'accord. Mais quel est le rapport entre être mort et vivant et pouvoir être intelligent et pouvoir parl... imprégner des pensées dans l'esprit des gens ?

— *Être mort et vivant à la fois permet parfois d'ouvrir certaines nouvelles voies. Enfin, ça n'a pas l'air d'être ton cas. »

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Tu es en même temps morte et vivante, non ?

— Je suis totalement morte, non ?

Et ton autre toi est totalement vivante.

— C'est quoi, ce délire ?*

Le chat eut un léger sourire. Enfin, ses lèvres dessinaient toujours une sorte de rictus, mais là, on avait presque l'impression que c'était volontaire.

« *Tu n'as pas compris pourquoi tu t'étais retrouvée ici ? »

— Je me suis pris un carreau d'arbalète ?

La première fois qu'on s'est vus, tu avais déjà un carreau d'arbalète. Et tu te portais mieux que ça.

— Tu veux dire que ce n'est pas le carreau qui m'a tuée ?

Ça y a peut-être un peu contribué.*

Elle soupira.

« Alors, ça serait quoi ?

— *Tu es au courant qu'il y avait une sorte de prophétie sur Erekh ? »

— Le Démon qui se ramène et qui sème la destruction ?

Brillant résumé. Maintenant, tu te rappelles du principe qui fait que quand les gens croient en quelque chose, cela se réalise ?

— Tu veux dire que la prophétie va se réaliser ?

Ce que je veux dire, c'est que toi, t'es peut-être un Démon, t'es peut-être stupide, mais t'es plutôt gentille et raisonnable. Alors avec toi dans le rôle principal, la prophétie n'aurait jamais marché.

— Et alors ?

Alors ? Hop, un petit carreau d'arbalète dans ton coeur, une petite balade dans le vide inter-dimensionnel, et il n'y a plus qu'à remplacer la gentille Laërith par quelque chose qui ressemble déjà un peu plus à un Démon, si tu vois ce que je veux dire.*

Laërith réfléchit un moment.

« Et donc, il y a maintenant une autre moi sur Erekh. En bien plus méchante. Uniquement pour qu'une prophétie à la con puisse se réaliser ?

— *Ce n'est pas uniquement la prophétie. Mais t'es un Démon. Tout le monde croit donc que tu vas faire le Mal et suivre ce qu'a dit la prophétie. Comme c'est absolument incompatible avec ta personnalité, il fallait que tu ailles voir ailleurs. »

— Alors, ça veut dire qu'Erekh est en danger ?

Erekh, non. Je suis certain qu'un vaillant chevalier, ou peut-être une équipe de héros, va finir par se pointer et sauver le monde. C'est la logique.*

Laërith baissa la tête.

« Comment tu connais tout ça ? demanda-t-elle.

Ça fait un bail que je me balade dans le coin. À force, on finit par comprendre un peu comment tout ça marche. Et accessoirement, je suis peut-être un peu moins stupide que toi. »

Ils y eut un moment de silence absolu. Puis Laërith finit par reprendre la parole :

« Et Mikaël ? Et Anaïs ? Et Armand ? Comment ils vont ?

— *Quand je suis parti, ça n'avait pas l'air d'être la grande forme pour Mikaël. Tu l'as sérieusement amoché. Les autres, ça devrait aller. »

— Je l'ai amoché ? Tu veux dire, l'autre ?

Bien sûr. J'ose quand même espérer que tu es capable de te rappeler de ce que tu fais. Mais je serais toi, je ne me préoccuperais pas trop de lui.

— Pourquoi ?

C'est un Héros. Et les Héros ne meurent jamais. Pas sur Erekh, en tout cas. Sauf quand ils se sacrifient pour sauver le monde, ou des trucs du genre, mais ce n'était pas le cas.

— Si tu le dis...

On se remet au boulot ?

— J'ai une dernière question... Pourquoi tu m'aides ?*

Le chat se gratta la tête avec sa patte arrière.

« *Tu ne viens pas d'Erekh. Tu viens de la Terre. »

— Et alors ?

Sur Terre, n'existe que ce qui est réel. Pas de chats télépathiques. Alors, si tu arrives à retourner là-bas, je veux que tu m'y amènes.

— Pourquoi ?

Ce n'est pas très facile, pour un chat, d'être intelligent. Si je vais sur Terre, je deviendrais peut-être un chat normal.*

Laërith soupira.

« Moi aussi, j'aimerais bien devenir une humaine normale. » Elle sourit, et caressa le chat. « Si on arrive à rentrer sur Terre, je t'adopte. »


« C'est pénible, ton truc. »

Le chat se gratta l'oreille, d'un air distrait.

« *Tu n'es pas très douée. »

— Avec tes explications, aussi...

C'est dur à expliquer. Basiquement, il faut juste imaginer que tu tombes, ou que tu voles, à travers la structure de l'univers.*

Elle soupira.

« Et comment tu sais *où » il faut aller ?

Je sens qu'il y a un autre monde pas très loin.

— Et il y a une chance de revenir sur Terre ?

Comme ça, non. Trop loin pour toi. Et pour moi aussi, d'ailleurs.

— On n'a aucun moyen ?

Peut-être que si. Sur Erekh, j'ai entendu parler d'une sorte de portail avec la Terre. Mais je n'ai pas tout suivi.

— Donc, il faut revenir sur Erekh.

On est trop loin, maintenant. Il y a un autre monde relativement proche. C'est là qu'on va aller.

— Mais je n'ai pas envie de m'amuser à visiter tous les mondes possibles et imaginables ! Je veux rentrer chez moi.*

Le chat eut ce qui aurait vaguement pu s'apparenter, chez un être humain, à un haussement d'épaules.

« Écoute, tu fais un peu d'efforts. On arrive sur ce monde. On regarde s'il n'y a pas un portail. Si ce n'est pas le cas, on ira sur Erekh, mais ça va prendre un sacré temps. »

Laërith baissa la tête.

« OK.

— *Pourquoi tu tiens tellement à revenir sur ton monde, au fait ? »

— Je... Je ne sais pas. C'est chez moi. Et puis... il y a quelqu'un que j'aime, là-bas.

Ah. L'amour.*

Laërith sourit.

« Ouais. Je suppose.

— *Moi, je veux juste une vie normale. »

— Pas d'amour chez les chats ?

Pas avec les chats quantiques, en tout cas.

— Désolée. Tu dois te sentir vraiment seul...

On s'y fait.*

Ils restèrent silencieux un certain temps. Puis Laërith caressa le ventre du chat. Il se mit à ronronner.

« Tu as un nom, au fait ?

Non. Personne ne m'appelle. »


« *Tu as fait quelques progrès. »

— Merci. Mais je n'ai pas l'impression qu'on ait beaucoup avancé. Ça fait combien de temps qu'on est là ?

Aucune idée. Et puis, le temps est relatif.*

Laërith soupira.

« Enfin, au moins j'ai quelqu'un avec qui parler...

— *À ce propos, ce serait bien si tu pouvais te taire un peu de temps en temps. Et te remettre au travail. »

— Ça doit faire des jours qu'on ne fait que ça ! Et ça ne donne rien. J'ai envie d'une pause !

Tu feras une pause une fois qu'on sera arrivé. C'est plus agréable que dans le vide, non ?*

Laërith se remit à se concentrer. Le principe n'était pas bien compliqué : il fallait se servir de son esprit pour naviguer à travers le vide absolu séparant les univers. Tout le problème était d'appliquer le principe.


Quelques heures passèrent. Laërith et son professeur félin poursuivaient leurs efforts.

Puis, soudainement, il sembla à Laërith qu'elle chutait. Bien sûr, dans le vide absolu, repérer le mouvement n'était pas chose facile, mais avant, elle avait l'impression de flotter. Maintenant, elle tombait.

Elle arrivait maintenant à sentir les différentes dimensions, ce qui n'est pas une chose facile. C'est un peu la même chose que de regarder un stéréogramme en vain pendant des heures, et de voir d'un coup sortir de la feuille un objet en trois dimensions. En cent fois plus intense.

Puis elle s'écrasa. Une vague de douleur se répandit dans l'ensemble de son corps — qu'elle ignora, parce qu'il y avait des avantages à être démoniaque. De la lumière lui fit mal aux yeux. Elle resta couchée au sol — du bitume — quelques instants. Puis elle se releva doucement. Elle jeta un coup d'oeil aux alentours. Des murs gris. Un peu de ciel au-dessus de sa tête. Elle avait donc atterri dans une ville.

« Eh ben voilà », fit le chat. Tu as quand même fini par y arriver.