Pendant ce temps, dans les monts Bessed, les elfes, fées et diablotins qui vivaient là ou dans la forêt d'Onyx luttaient contre les force de Daël. Ils étaient moins nombreux mais étaient habitués aux montages enneigés, contrairement à leurs adversaires.
Ceux-ci, voyant que leurs efforts étaient vains, avaient temporairement décidé de garder leurs positions, et il n'y avait plus de combat depuis quelques temps ; les deux camps s'observaient mais n'osaient prendre l'initiative.
À quelques lieues à l'est, se trouvait le village de Kynahé, qui servait de base arrière aux forces de Daël. Un certain nombre de guerriers s'étaient réunis dans la taverne pour faire passer le temps entre deux combats.
Ils étaient une vingtaine, groupés sur quelques tables. Ils étaient les seuls clients encore présents.
La porte de la taverne s'ouvrit. Il y eut subitement un silence total.
Un homme relativement grand, aux cheveux noirs, portant une cape noire, entra dans la salle et se dirigea vers le bar.
Puis un des guerriers se leva et se dirigea vers l'homme. Il avait les cheveux blonds et longs, et mesurait dix centimètres de plus que l'autre. Deux autres hommes se levèrent avec lui. Ils se placèrent juste à coté du nouveau venu.
Le plus grand renifla.
« Tu pues la mort, saleté de vampire, cracha-t-il au nouveau venu.
— On n'aime pas les vampires, ici, renchérit un des hommes qui était derrière lui. »
Le vampire ne bougea pas.
« Et alors ? demanda-t-il lentement.
— Et alors, répondit le grand, je sens que si tu ne dégages pas d'ici rapidement, ton immortalité risque de prendre fin plus tôt que prévu. »
Le vampire ricana doucement. Le grand dégaina son épée.
Il y eut un mouvement flou. Le vampire se tenait maintenant derrière le grand blond, et lui tordait le bras d'une main, l'autre servant à tenir une dague sous le cou de son adversaire.
« Ngh », fit ce dernier.
Dans la salle, les autres dégainèrent leurs armes.
« Pas de bêtises, fit le vampire. Ou il pourrait y avoir de la casse. »
Tous les regards se focalisèrent sur lui.
Il y eut un grincement alors que la porte s'ouvrait à nouveau. Une jeune femme blonde se tenait sur le pas de la porte. Elle leva les yeux au ciel.
« Tsss, fit Anaïs sur un ton de reproche. Il faut toujours que tu te fasses remarquer. »
Mikaël eut un large sourire.
« Mais c'est eux » qui ont commencé...
Il fallut une journée à cheval à Mikaël et Anaïs pour arriver à Danéver. La ville s'étendait sur de nombreuses lieues, autour du centre, qui constituait un véritable bastion fortifié.
« Alors, voilà Danéver, fit Anaïs en mettant pied à terre. Je n'y étais jamais allée.
— Ouais, dit simplement Mikaël. Tu as envie de faire quelque chose avant la tombée de la nuit ? »
Anaïs fronça les sourcils. Ils étaient venus pour rencontrer le conseil, qui se trouvait maintenant dans cette ville.
« Le conseil a lieu la nuit ? » demanda-t-elle.
Mikaël hocha la tête.
« Il parait qu'ils reçoivent un diplomate vampire. Il doit craindre le soleil.
— Ça ne nous fait pourtant pas grand chose, répondit Anaïs en regardant l'astre lumineux.
— Nous ne sommes pas comme eux. »
Anaïs sourit.
« Tu les hais toujours autant, hein ? »
Mikaël haussa les épaules.
« Je ne supporte pas leur façon de traiter les humains comme du bétail. »
Anaïs hocha la tête. Il y eut un moment de silence.
« On va faire un tour ? demanda Mikaël.
— D'accord. Mais essaie de ne pas provoquer de bagarre, pour une fois. »
Le conseil s'était réuni à l'intérieur du palais du prince de Danéver ; celui-ci en était d'ailleurs devenu membre après la fuite des anciens dirigeants d'Erekh dans cette ville.
Deux gardes étaient à l'extérieur, chargés de faire en sorte que le conseil se déroule bien. Ils aperçurent Anaïs qui se dirigeait vers eux.
Elle leur fit un sourire aguicheur.
« Vous n'avez pas le droit d'être là, fit un garde.
— Allez viens, tu ne vas pas refuser un petit plaisir, répondit Anaïs. »
Le garde s'approcha d'elle. Elle l'embrassa. L'autre garde souriait. Puis il aperçut son compagnon tomber au sol. Son sourire se figea.
« Qu'est-ce que... » commença-t-il en se dirigeant vers la jeune fille.
Mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase ; Mikaël avait surgi derrière lui et l'avait assommé avec la garde de son épée.
« Je n'aime pas trop tes méthodes, fit-il.
— Ne t'en fais pas, répondit Anaïs. Il s'en remettra.
— Je veux dire, tu n'étais pas obligée de l'embrasser.
— Oh. »
Ils pénétrèrent dans la salle.
C'était une salle relativement grande. Les membres du conseil étaient assis autour d'une table. Trois gardes étaient à l'intérieur pour assurer la sécurité.
Lorsqu'ils aperçurent les deux intrus entrer, ils se crispèrent.
« Qui va là ? » demanda l'un d'eux.
Le duc Nara sourit.
« Mikaël ? Nous vous croyions mort... Comment avez vous survécu ? »
Mikaël eut un sourire, dévoilant ses dents.
« Je n'ai pas » survécu.
Le duc de Léhen paraissait hors de lui.
« Nous ne pouvons pas les laisser entrer ! Tout ce qui est arrivé à Nonry est de leur faute !
— Calmez vous, tempéra Nara. Il vaudrait mieux les avoir avec nous que contre nous...
— Si le chevalier Veyran désire participer, fit le prince de Danéver en souriant, nous serions bien stupides de vouloir l'en empêcher. Prenez donc une chaise. »
Mikaël et Anaïs s'assirent.
« Quelle ironie du sort, fit Nara, souriant. Le plus grand chasseur de vampires qui en devient un, à son tour...
— Humpf, répondit Mikaël.
— On attend encore quelqu'un ? » demanda Anaïs.
Le prince de Danéver la regarda. Il paraissait avoir une cinquantaine d'années. Ses longs cheveux gris retombaient sur ses épaules massives. Contrairement aux autres, il avait l'air calme, et paraissait prendre les événements avec plus de distance.
« Oui, finit-il par répondre. La diplomate vampire.
— On ne sait pas ce qu'ils veulent, fit Nara. Ils nous ont juste signalé son arrivée.
— Tu en penses quoi ? demanda Mikaël.
— Je ne sais pas trop. Nous pensions qu'ils étaient plutôt du côté de ton amie Laërith.
— Hmmm, fit Mikaël. Les vampires du côté du Démon, ça aurait un sens. »
C'est ce moment que choisit la diplomate pour entrer.
« Salut. Vos gardes n'ont pas l'air en forme », fit-elle joyeusement.
Mikaël et Anaïs la reconnurent immédiatement ; il fallait dire que ses cheveux rouges étaient assez uniques.
« Destinée ? demanda Mikaël à mi-voix.
— Tiens, tiens, tiens, répondit-elle en souriant. Deux autres vampires... Nous sommes presque en majorité. »
Elle s'assit sur le fauteuil à côté de lui, l'air décontractée.
« Bien, dit-elle à l'ensemble du conseil. Je m'appelle Nadia, et je représente les vampire de la Transie Vanille.
— Vous connaissez les personnes ici présentes ? demanda le prince.
— Bien sûr, répondit-elle.
— Dans ce cas, nous allons pouvoir aborder le vif du sujet. Dans quel camp êtes vous ? »
Elle haussa les épaules.
« Nous avons, commença-t-elle à réciter, et depuis maintenant quelques siècles, conservé une certaine... neutralité. Cependant, depuis qu'Erekh est contrôlé par un Démon, nous ne sommes plus vraiment certain de vouloir, ni même de pouvoir, laisser la situation telle qu'elle est.
— Et vous penchez de quel côté ? demanda le comte de Marles. J'imagine que pour des gens qui ont un tel goût du sang, vous devez vous sentir proche de ce... Démon. »
Il termina sa phrase en ricanant.
Nadia se redressa légèrement. Elle fixa le comte du regard. Celui-ci arrêta immédiatement de rire, et parut même effrayé.
« Il faudrait, finit-elle par répondre, être d'une stupidité sans fond pour croire une telle chose. Vous ne la percevez que comme un Démon, mais vous oubliez quelque chose. Ce qu'elle fait, elle le fait pour le bien du peuple...
— Ben voyons, cracha le duc de Léhen. Vous appelez ça le bien du peuple ?
— Je me moque totalement de votre opinion sur la question, répondit-elle. La question n'est pas de savoir si c'est le bien ou pas. Le fait est que c'est ce qu'elle veut. Et à cause de cela, elle pourrait représenter un danger pour nous. De plus, nous la trouvons un peu... *cavalière ». Cela fait des années, des siècles même, qu'Erekh avait un accord pour nous laisser en paix. Elle est différente. Nous ne savons pas si elle respecterait un accord.
— Dans ce cas, demanda le prince, vous pensez qu'une alliance serait envisageable pour l'éliminer ?
— Envisageable, oui.
— Si je peux me permettre, interrompit Mikaël, ne serait-il pas plus simple de signer un accord avec Laërith que de vouloir à tout prix reconquérir tout Erekh ? Nous sommes passés par les monts Bessed, en venant ici. Je peux vous dire que si vous voulez les franchir, il vous faudra perdre un sacré paquet d'hommes.
— Non, répondit le prince. Un accord avec elle n'est pas envisageable. C'est un Démon, et nous devons en libérer Erekh.
— Et alors ? fit Mikaël. Le père de notre ancien roi avait pris le trône par un assassinat à peine caché. Et il a causé ensuite bien plus de morts qu'elle !
— Mais ce n'était qu'un humain, fit Nadia. Pas un Démon.
— Comment pouvez vous encore la défendre ? demanda le duc de Léhen. Il me semble que c'est à cause d'elle que vous êtes dans cette... condition.
— Je ne m'en porte pas plus mal, cracha Mikaël.
— Le fait est, reprit Nadia, que Laërith est un danger pour Erekh. C'est un problème que nous devrions régler.
— Je croyais que vous étiez pour la neutralité, fit Nara.*
Nadia sourit.
« La Transie Vanille voulait rester neutre. C'est un peu différent, maintenant. Personnellement, je pense que Laërith ne peut rester au pouvoir. Cela dit, je ne suis pas pour une invasion.
— Comment, alors ? demanda le prince.
— Je pense qu'Erekh, dans sa majorité, n'est pas favorable à leur reine. Si elle... venait à disparaître, le problème serait réglé.
— Impossible, fit Léhen. Nous avons essayé quelques fois ; il y a eu un certain nombre d'attentats contre sa personne, mais ils ont tous échoué.
— En effet, confirma Mikaël. Je dois admettre qu'elle a des pouvoirs contre lesquels on ne peut pas faire grand chose.
— Même un grand chevalier, récemment devenu vampire ? » demanda Nadia, le sourire aux lèvres.
« Laissez tomber, répliqua Mikaël. Je n'aurais aucune chance. Et quand bien même j'en serais capable, je ne vois pas pourquoi je le ferais. »
Nadia le fixa dans les yeux.
« Vous pourriez avoir la gloire. La richesse. La noblesse, même.
— Ça me ferait une belle jambe.
— Pourquoi êtes vous venus à ce conseil, alors ? demanda le prince. Qu'est-ce que vous voulez ? »
Mikaël soupira.
« Je voulais juste vous suggérer de parlementer avec elle. Mais manifestement, vous êtes plutôt obtus. Je crois que nous n'avons plus rien d'autre à dire.
— Juste une chose, fit Anaïs, qui était restée silencieuse jusque là. Vous n'arriverez à rien avec la violence. Elle est manifestement plus forte que vous. Tout ce que vous aurez gagné, c'est un bain de sang. »
Sur ces mots, ils se levèrent et sortirent.
« Je crois qu'on a fait tout ce chemin pour rien », dit Anaïs.
Mikaël haussa les épaules. Ils étaient assis par terre, sur une colline, un peu en dehors de la ville. Ils s'étaient décidés à dormir quelques heures ici.
« Je ne sais pas, répondit-il. Peut-être qu'on devrait retourner à Nonry.
— Tu veux aller te battre contre elle, finalement ?
— Je n'en ai pas envie. Mais peut-être que je pourrais la raisonner.
— J'en doute », fit une voix qu'ils reconnurent immédiatement.
Ils se retournèrent et aperçurent Nadia — ou Destinée —, qui s'assit à côté d'eux.
« Vous n'avez pas fait une sortie très polie, au conseil, reprocha-t-elle.
— Qu'est ce que vous voulez ? demanda Mikaël sur un ton agressif.
— Je voulais juste savoir ce que vous comptiez faire.
— Qu'est-ce que ça peut vous foutre ? »
Elle haussa les épaules. Il y eut un moment de silence.
« Alors, demanda Anaïs, plus calme, maintenant ce n'est plus Destinée, mais Nadia ?
— Le nom n'a pas beaucoup d'importance.
— Pourquoi dites vous qu'on ne pourra pas la raisonner ?
— Je l'ai aperçue, répondit Nadia. Elle n'est plus la même. Son apparence est la même, mais elle n'a plus... d'âme. Ou... je ne sais pas, pas la même, en tout cas.
— Qu'est ce que vous voulez dire ? demanda Mikaël.
— C'est la prophétie. Elle a un véritable pouvoir, vous savez.
— Attendez. Vous êtes en train de dire que c'est la prophétie qui l'a rendue cinglée ? demanda Anaïs.
— Pas... cinglée ». C'est un peu dur à expliquer. Mais je pense que si le corps de Laërith est resté le même, son âme a été détruite. Elle soupira. « C'est de ma faute. J'aurais dû la tuer quand je le pouvais encore. »
Il y eut un moment de silence.
« Comment s'est terminé le conseil ? demanda Anaïs.
— Ils ont décidé d'attaquer les monts Bessed. Ils veulent en finir au plus tôt.
— Mais c'est absurde ! Tout ce qu'ils vont faire, c'est perdre des hommes...
— Non, répondit Nadia d'un air sombre. Ils vont aussi massacrer tous les elfes et les fées.
— Et je suppose que les vampires vont s'empresser de les aider », cracha Mikaël.
Nadia soupira.
« Pourquoi haïssez vous tellement les vampires ? Vous en êtes un, maintenant...
— Je... Nous ne buvons pas de sang, nous. »
Nadia sourit.
« Et vous arrivez à vivre sans ?
— C'est juste une question de volonté, répondit Anaïs.
— Je vois, fit Nadia en se relevant. Je vous admire. Bon, j'y vais. Je suppose qu'on se reverra.
— La prochaine fois, je vous tuerai, foutue suceuse de sang », répondit Mikaël.
Nadia s'amusa de la remarque.
« Je n'en doute pas », répondit-elle, souriante.
Et elle disparut.
àdire{Tu n'es pas très gentil}, lui reprocha Anaïs.
Mikaël haussa les épaules.
« Elle tue des gens pour se nourrir.
— Mais je la trouve plutôt sympa. »
Mikaël la regarda.
« Peut-être qu'elle tue sympathiquement » des gens pour se nourrir. Mais elle les tue quand même.
Anaïs sourit. Et ils s'embrassèrent.
« On fait quoi, alors ? » demanda Anaïs.
Mikaël parut hésiter un petit moment.
« Il n'y a plus rien à faire ici. Mais on peut peut-être stopper Laërith. »
Anaïs soupira.
« Et la guerre ? Si Daël attaque les Monts Bessed de façon massive, ça va être un vrai massacre...
— Je crois qu'on ne peut plus rien faire. »
Anaïs secoua la tête.
« Il y a peut-être encore une chance, non ?
— Et tu veux faire quoi ? Te pointer au milieu pour les empêcher d'attaquer ?
— Je sais pas ! Mais je pense que s'il n'y a même qu'une toute petite chance de stopper le massacre, il faut le faire. Je reste. »
Mikaël soupira.
« On se sépare, alors ?
— Ouais. On se retrouvera à Nonry, d'accord ? »
Mikaël hocha la tête.
« Fais attention à toi.
— Toi aussi, répondit-elle en souriant.
— Je t'aime. »
Ils s'embrassèrent. Puis Mikaël repartit vers l'ouest.