Lorsqu'Armand se réveilla, il était dans une cellule. Ce n'était pas une horrible cellule. Il y avait un vrai lit, et c'était plutôt large. Mais ça n'en restait pas moins une cellule, c'est-à-dire un endroit dont on ne sort pas.
Les derniers événements lui revinrent en mémoire. Mikaël, mort. Sans doute, en tout cas. Qu'était devenue Anaïs ? Et qu'était-il arrivé à Laërith ? Était-ce sa vraie nature ? La prophétie disait-elle donc la vérité ?
Il passa quelques heures à attendre, et à réfléchir là-dessus.
Il lui semblait que tout son monde s'était écroulé. Bien sûr, il ne les connaissait que depuis une semaine. Mais cela avait été suffisant pour qu'il croit bien les connaître.
Et voilà que Laërith les avaient trahis et que Mikaël était mort...
Armand dormait à moitié lorsqu'il entendit une porte s'ouvrir, et des bruits de pas s'approcher. C'était Laërith.
Elle portait une robe noire. Ses ailes immatérielles lui donnaient un air tout à la fois maléfique et... attirant.
Armand se jeta contre la grille qui le séparait d'elle.
« Espèce de... », hurla-t-il.
Elle sourit.
« De quoi ? Comment ça va, au fait ? »
Armand parut décontenancé par sa réaction. Il se calma un peu.
« Qu'est-ce que tu as fait à Mikaël ? demanda-t-il.
— Oh » répondit-elle d'un air désinvolte, « comme tu as vu, je l'ai fait passé par la fenêtre.
— Il est... mort ?
— Je ne pense pas qu'un humain puisse survivre à une telle chute. Mais, s'il y avait des traces de sang, il n'y avait plus son corps. Peut-être qu'Anaïs l'a enterré quelque part. »
Armand parut au bord des larmes.
« Comment tu peux être si froide ? Pourquoi tu l'as tué ? »
L'espace d'un instant, il crut apercevoir de la tristesse dans les yeux de Laërith.
« Je... me suis emportée. C'était la colère. Je ne voulais pas ! »
Armand soupira.
« Je te jure que je regrette », reprit Laërith.
Armand resta silencieux.
« Je suis la reine, maintenant, reprit-elle.
— Qu'est-ce que ça peut me foutre ? »
Elle haussa les épaules.
« Je ne sais pas. Je pensais que ça t'intéresserait. »
Armand secoua la tête.
« Pourquoi ? » demanda-t-il.
Laërith parut surprise de la question.
« Pourquoi *quoi » ? demanda-t-elle à son tour.
— Pourquoi est-ce que tu as tué Mikaël ? Et le roi ? Pourquoi tu veux le pouvoir ?*
Elle soupira.
« C'était... sur le coup de la colère. Mais je veux juste le bien de ce pays ! Tu ne comprends donc pas que tous ces gens l'exploitaient ?
— Pas toi, peut-être ?
— Non ! »
Son cri résonna quelques instants.
« Armand, reprit-elle, plus calmement, j'ai besoin de ton aide.
— Quoi ?
— Personne ne me fait confiance. Tous me haïssent ! J'ai réussi à établir assez de pouvoir, et certains m'obéissent, mais il n'y a que toi en qui je puisse avoir confiance. »
Armand soupira.
« Tu me demandes de t'aider ? Après ce que tu as fait ? »
Laërith leva un bras. Armand se retrouva plaqué contre le mur, et sentit une pression sur sa gorge.
« OBÉIS MOI OU TU MOURRAS » !
C'était une voix d'outre-tombe, qui résonnait en lui. On pouvait sentir les flammes de l'Enfer dans le ton.
« Alors.... tue... moi... » répondit Armand.
Il s'écroula au sol, haletant.
Lorsqu'il parvint à se redresser, il n'y avait plus personne.
Quelques jours passèrent. Dans la cellule, Armand passa le plus clair de son temps à dormir : les barreaux étaient solides, il n'y avait pas de moyen de s'échapper. Rien d'autre à faire que d'attendre.
Puis Laërith revint. Elle et Armand se regardèrent quelques instants, en silence, immobiles. Puis Armand prit la parole.
« Et que désire sa majesté » ? demanda-t-il sur un ton cynique.
Laërith soupira.
« Je suis désolée pour la dernière fois... Je me suis...
— Emportée ? »
Elle acquiesça.
« Alors, comment se porte le royaume ? » demanda Armand.
Elle haussa les épaules.
« Je contrôle toute la partie ouest d'Erekh. Mais le conseil s'est réfugié à l'est. À Danéver. Ils organisent une sorte de... résistance. Pourquoi tu me demandes ça ? Je croyais que tu t'en foutais ?
— J'aimerais savoir combien de temps je vais passer dans cette cage avant qu'ils ne viennent reprendre la ville », rétorqua Armand.
Laërith sourit.
« Je peux te faire sortir de cette cage tout de suite. »
Armand soupira.
« Si j'accepte de t'aider, c'est ça ?
— Tu pourrais t'occuper de la garde... Je te ferais nommer commandant.
— Et tu voudrais que j'arrête les types qui veulent rétablir la liberté ? »
Elle baissa la tête.
« Écoute, je...
— Non, coupa-t-il. C'est non. Définitivement. Je préfère mourir. »
Elle lui jeta un regard plein de tristesse. Puis elle partit, sans rien dire.
Le surlendemain, deux gardes traînèrent une jeune femme dans la cellule d'en face. Armand finit par la reconnaître : c'était Lucie de Guymor, qu'il avait aperçu au conseil. Ses vêtements étaient passablement sales et abîmés, mais elle paraissait aller plutôt bien.
Une fois les gardes partis, Armand prit la parole.
« C'est amusant. Vous étiez une princesse, et moi un simple villageois. Et maintenant, nous sommes enfermés ensemble. »
Lucie sourit.
« Très amusant, en effet. C'est le grand luxe, ici. »
Armand parut surpris.
« Vous étiez moins bien traitée que ça, avant ? »
Lucie acquiesça.
« Apparemment, Laërith se soucie plus de toi que de moi. »
Armand soupira.
« Ouais. Elle veut faire de moi le commandant de la garde.
— Et tu as refusé ?
— Je n'ai pas envie d'aider un... un Démon !
— Mais pourtant vous vous entendiez bien, avant ?
— C'était avant » !
Lucie s'assit sur le lit.
« Oh. Je vois. Mais je pense que tu devrais accepter quand même. »
Armand soupira.
« Elle vous a envoyée pour me dire ça, hein ? En espérant me convaincre... »
Lucie sourit.
« Absolument pas. Je ne savais même pas que tu étais là. Elle a juste voulu m'offrir une cage plus confortable. »
Armand ne parut pas convaincu.
« Alors, pourquoi je devrais accepter ? demanda-t-il.
— Déjà, tu serais libre.
— Avec elle comme reine ? Je me vois mal être libre quelque part.
— Tu exagères. Ensuite, tu pourrais peut-être l'influencer. »
Armand parut surpris.
« L'influencer ?
— Elle t'aime bien. Et puis, tu lui apporterais du soutien...
— Mais je n'ai pas envie de l'aider ! »
Lucie lui jeta un regard mauvais.
« Tu la connais sans doute mieux que moi. Je ne prétends pas pouvoir juger les gens. Mais je ne crois pas qu'elle ait mauvais fond.
— Pas mauvais fond ? Elle a tué...
— Je n'ai pas dit qu'elle n'était pas violente, coupa Lucie. Je pense qu'elle est... disons, ... » Elle fit un geste vague de la main. « Je ne sais pas. Je dirais bien que c'est de la folie, mais je crains qu'elle n'ait dépassé ce stade.
— Et ça change quoi ?
— Ça change que tu peux l'aider. Je ne dis pas qu'elle n'aurait plus du tout de crise de violence, mais je pense que ça serait déjà un peu mieux si tu restais à ses côtés. »
Armand soupira. Il se rappela le regard qu'il avait entraperçu... Oui, il restait peut-être bien quelque chose de l'ancienne Laërith.
Le lendemain, Armand devint commandant de la garde.